Le
5 avril 1954, Claude Delvincourt trouve la mort dans un accident
d'automobile, sur la route de Rome, où il allait assister à la première
audition de son quatuor à cordes.
Par quelle ironie du sort sa
brillante carrière est-elle venue s'anéantir près de cette ville où il
avait séjourné en 1913, après avoir obtenu le premier Grand Prix de
Rome, et après avoir survécu aux terribles blessures reçues au front en
1915 ?
Claude Delvincourt naît à Paris le
12 janvier 1888. Son père, diplomate, et sa mère musicienne de talent,
reconnaissent très vite les dons exceptionnels de leur fils. A cinq
ans, sans connaître ses notes, il reproduit au piano les airs qu'il
entend dans la rue.
Mais son père souhaite qu'il
entreprenne des études classiques. Il obtient son baccalauréat, de
latin/grec et de mathématiques. Licencié en droit, il prépare
Polytechnique.
Malgré tout, l'amour de la musique l'emporte.
Le compositeur Léon Boëllmann puis Henri Busser, l'initient dès son enfance au solfège et au piano.
A vingt ans, il se présente au Conservatoire où Caussade lui enseigne le contrepoint et la fugue, Widor la composition.
Excellent pianiste, brillant
organiste, c'est en 1913 qu'il obtient le premier Grand Prix de Rome en
même temps que Lili Boulanger.
La déclaration de guerre de 1914
interrompt son séjour à la Villa Médicis et Claude Delvincourt
s'engage. Grièvement blessé le 31 décembre 1915 en Argonne, considéré
comme perdu, il doit la vie à une miraculeuse intervention
chirurgicale. Il ne reprendra ses activités musicales qu'en 1923.
Directeur du Conservatoire de
Versailles de 1932 à 1941, Claude Delvincourt est nommé, à cette date à
la direction du Conservatoire National de Paris. Commence alors une
nouvelle page de son existence. Dans les circonstances difficiles de
l'Occupation, il sait donner à cette école un souffle nouveau et un
rayonnement exceptionnel.
Manager d'avant-garde, il rénove
l'enseignement, crée de nouvelles classes. Il est le premier à mettre
en place les "délégués de classes", initiative révolutionnaire et
controversée à l'époque. Delvincourt ouvre les jurys aux compositeurs
et interprètes de toutes tendances et enrichit le corps enseignant par
la présence de professeurs de talent dont les qualités pédagogiques
sont reconnues.
Très proche de ses collaborateurs
et de ses élèves, il est leur confident, leur ami, tout en sachant
garder l'autorité nécessaire. Il sait communiquer à son entourage sa
gaieté et son dynamisme, et lui insuffle son enthousiasme et sa foi en
la musique.
Le directeur et maître est aussi le défenseur de cette jeunesse à laquelle il se consacre totalement.
En 1943, les élèves de la classe
41 et 42 reçoivent une convocation du S.T.O. les enjoignant de partir
pour l'Allemagne. Afin des les soustraire à la déportation, et pour
leur permettre de poursuivre leurs études, Delvincourt crée avec
l'accord de l'Etat-Major allemand, l'Orchestre des Cadets destiné en
principe, à jouer en Allemagne et pour l'occupant. Orchestre fantôme
qui, grâce à mille stratagèmes ne partit pour Berlin qu'en 1945 à la
demande du Général Koenig et entreprit cette même année une tournée
triomphale en Europe.
Décoré de la Croix de Guerre avec
palmes, de la Médaille Militaire, Chevalier de la Légion d'Honneur en
1933, Claude Delvincourt est reconduit dans ses fonctions à la
Libération et nommé Officier de la Légion d'Honneur.
Lors de sa mort brutale, des
personnalités comme Henri Busser, Darius Milhaud, Pierre Petit, Norbert
Dufourq, Olivier Messiaen et bien d'autres apportent des témoignages
émouvants sur les dons et qualités hors du commun de cet homme disparu
trop tôt.
Son œuvre, reconnue de grande
valeur, s'inscrit dans la tradition de la musique française
contemporaine, tout en restant d'une totale indépendance. Si son art
est audacieux, ouvert aux innovations de l'écriture, il conserve
toujours un souci d'ordre et de logique qui ôte tout caractère de
gratuité à ses hardiesses.
Ses compositions très variées
touchent à tous les genres : musique de chambre, musique de films,
œuvres pour orchestre, œuvres lyriques. Elles sont l'expression d'un
tempérament et d'une personnalité très forte mais complexe.
Homme de tradition et de rigueur,
il est aussi et en même temps le novateur, souvent en avance sur son
temps. Brillant causeur, malicieux, caustique, c'est la gaieté et
l'humour de certaines pièces pour piano : Croquembouches, Heures
Juvéniles, Boccacerie et pour l'Opéra-Comique la farce truculente de La
Femme à Barbe, ou la gouaille de Radio-Sérénade, et la brillance du Bal
Vénitien.
Chrétien, attaché à sa foi,
intransigeant pour lui-même, généreux pour les autres, mais
profondément choqué par la misère et le sectarisme, c'est l'immense et
calme prière du Pater, la musique de lumière de l'Ave Verum qui laisse
entrevoir les tourments et la révolte maîtrisée du Salut Solennel et du
drame épique de Lucifer, jugé par ses contemporains comme "l'une des
grandes œuvres du siècle".
Le destin n'a pas voulu qu'il en fût ainsi.
Michel Humbert-Delvincourt